9 décembre 2020
La
crise sanitaire que nous connaissons depuis le printemps aura eu un effet
concret sur l’organisation du travail. Elle a mis en lumière ce qui, avant,
demeurait limité : le télétravail (17% des actifs y avaient déjà eu
recours avant le premier confinement[1],
seulement 12% télétravaillaient au moins un jour par mois, il y a huit ans[2]).
Par
effet de cliquet, il est depuis venu s’imposer. Certains grands groupes ont
annoncé sa généralisation, comme PSA, souhaitant, dès lors, revoir en
profondeur leur organisation. Côtés salariés, même s’il ne s’applique pas à
tous, le télétravail a suscité un certain engouement (44% des actifs ayant pu
télétravailler au printemps l’ont fait, 79% souhaiteraient y recourir plus
souvent[3]).
Pourquoi devriez-vous porter une attention particulière aux
conséquences de cette nouvelle organisation ? :
Ce
plébiscite ne doit pas occulter les risques liés à sa pratique. Car si cette
nouvelle organisation a nourri nombre de débats et occupé le temps médiatique, la
conjugaison d’effets inhérents représente autant de facteurs de crises pour
l’entreprise qui n’ont cependant été peu observés.
Pour l’employé, travailler en dehors d’un
espace de travail destiné par essence à cet usage fait naître de nouveaux
enjeux physiques et psychologiques. La moindre distinction entre univers
personnel et professionnel, la « néotaylorisation »[4] et le surcroit de travail constaté
associés à l’absence de lien social et la dégradation des relations (40% des
télétravailleurs[5]) laissent présager un accroissement des
risques psychosociaux (burn-out, arrêts de travail…). Et les nouvelles
conditions du deuxième confinement (maintien de l’école) ne les ont pas
réduits : « On est reparti à l’identique, sans
prendre le temps de stabiliser de nouveaux modes de fonctionnement à
distance, note Natalène
Levieil, spécialiste des risques psychosociaux au sein du cabinet LHH
(ex-Altedia). En mars, on
avait vu venir les problèmes d’isolement pour les personnes fragiles, ou de
chevauchement vie privée-vie professionnelle, mais on n’avait pas anticipé la
montée des tensions au sein des équipes »[6].
Dans
un premier temps, ces risques psycho-sociaux sont couverts par les organismes
sociaux : les indemnités journalières versées en cas d’arrêt maladie ont
augmenté de 29,9 % entre janvier et août, pour l’Assurance Maladie[7]. L’entreprise
pourraient néanmoins en subir les répercussions sur son organisation (moindre
mobilisation disponible) et, à moyen terme, sur ses finances (hausse des
charges sociales, procédures juridictionnelles…).
Le télétravail, par ailleurs, étend la
responsabilité de l’entreprise aux accidents du télétravailleur à domicile.
L’employeur, étant tenu vis-à-vis de ses salariés à une obligation de sécurité
de résultat, doit prendre les mesures nécessaires pour préserver leur santé et
assurer leur sécurité.
« Le Code du travail prévoit expressément, pour
l’employeur, les mêmes obligations en matière de prévention des risques
professionnels à l’égard de tous ses salariés, y compris ceux en télétravail. Ainsi,
l’accident survenu sur le lieu du télétravail pendant l’exercice de l’activité
professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au
sens des dispositions de l’article L. 411-1 du Code de la
sécurité sociale. Si l’employeur
peut contester le caractère professionnel de cet accident, il est en pratique
difficile pour lui de démontrer qu’il a eu lieu en dehors du temps de travail
ou est dû à une cause totalement étrangère au travail. » Maîtres Benoît Charot, Olivier Rivoal et Yéléna
Nobou, avocats[8]
L’absence
d’universalité du télétravail annonce un autre écueil. Le fossé pourrait se
renforcer entre les postes pouvant en bénéficier et les autres. Cette nouvelle
distinction cols bleus / cols blancs touche la société dans son ensemble. Pour
les entreprises concernées le sujet est tout aussi primordial ; « cette crise accentue la
fracture sociale », confirme, ainsi, Christophe Debien, psychiatre et
responsable de pôle au Centre national de ressources et de résilience (CN2R)[9]. Celle-ci génère une rupture de la confiance et
de l’écoute entre les employés et leur management qui se révélera préjudiciable
en situation de crise.
Les
risques intrinsèques apparaissent plus évidents. L’organisation en distanciel
complexifie et impacte la sécurisation des données. Les télétravailleurs ont
chez eux recours à des connections Wi-Fi non-sécurisées.
« Avec
le télétravail, il arrive que les employés se connectent au système
informatique de la mauvaise manière » Alessandro Roccati
Senior VP de Moody’s coauteur de l’étude sur la hausse des cyberattaques contre
les banques durant le confinement[10].
Le
point vient s’aggraver pour ceux qui choisissent un lieu public à la merci des
regards indiscrets. Il est ici intéressant de noter que les employés des jeunes
entreprises sont plus négligents vis à vis des données sensibles. D’après une
étude du spécialiste du stockage et de la gestion d’informations, Iron Moutain,
parmi les employés sondés au sein de ces entreprises, 48% admettent avoir
laissé des documents sensibles à la vue de tous dans un bureau, les avoir
traités négligemment ou même les avoir oubliés ou égarés dans un lieu public. Soit
deux fois plus que dans les sociétés plus établies (23% des employés)[11].
De
nombreuses organisations tolèrent, par ailleurs, d’autres mises en péril :
l’utilisation de messageries personnelles pour l’échange de documents
professionnels (50 % des télétravailleurs) ou leur non-destruction (19 %
d’entre eux jettent leurs documents à la poubelle)[12]. Au
delà d’évoquer l’ampleur de la menace des cyberattaques – elles ont triplé
contre les banques pendant le premier confinement[13] – les
organisations doivent accroitre leur vigilance face à cette mise à disposition
de données sensibles supplémentaire.
« Les entreprises laissent leurs employés utiliser
leur ressource la plus précieuse, à savoir leurs données, en dehors du bureau
sans même leur offrir les moyens d’appliquer les meilleures pratiques de
gestion de l’information, notamment de stockage et de destruction sécurisés. Il
est essentiel qu’elles étendent leurs procédures de gestion de l’information à
leurs télétravailleurs et salariés distants. Et pas seulement pour leurs
données numériques, mais aussi pour leurs documents papier, tout aussi
susceptibles de tomber entre de mauvaises mains » alertait
dès 2013, Marc Delhaie, Président-Directeur général d’Iron Mountain France[14]
Concomitamment,
les conditions de travail évoquées rendent plus difficile le respect des normes
(droit du travail, RGPD, réglementations sectorielles particulières…). Dans
l’urgence, la vigilance portée à la conformité se réduit générant de nouveaux
risques pour l’entreprise. « L’employeur
est sans conteste le responsable du traitement des données personnelles,
rappelle Maître Jérémie Giniaux-Kats, avocat. Si, le salarié peut engager sa responsabilité en
cas de non-respect des dispositions d’une charte informatique, d’une clause de
confidentialité ou d’une charte du télétravail, en cas d’amende prononcée par
la CNIL, seul l’employeur sera tenu par la condamnation pécuniaire et ne
disposera d’aucune action récursoire contre un salarié fautif.[15]
« L’employeur doit redoubler d’efforts pour assurer la sécurité des données personnelles qu’il permet à ses salariés de traiter, lorsque ces salariés travaillent hors les murs », Maitre Jérémie Giniaux-Kats, Avocat.
Que retenir et comment mieux anticiper les crises en tenant compte de cette nouvelle organisation ?
Le télétravail, décision
collatérale au premier confinement, s’est imposé de lui-même. Ses écueils sont
essentiellement apparus empiriquement. La conjoncture exceptionnelle n’a pas
permis d’alternative. Il demeure néanmoins essentiel d’éviter l’accumulation de
nouveaux risques dans la perspective d’une crise.
Dans chaque organisation, la
manifestation d’une crise exogène à l’entreprise comme la crise sanitaire liée
au Covid-19 doit alors générer un ensemble de réflexes incontournables :
>> la constitution d’une cellule d’anticipation dès
l’annonce des premières mesures
>>
l’ouverture de la cellule de crise avec des rôles clés répondant à des missions
précises
>>
l’allégement des agendas des membres de la cellule afin qu’ils puissent
pleinement s’y consacrer
>>
la cartographie des risques et l’analyse des évolutions défavorables corollaire
>>
la bonne prise en compte de toutes les parties-prenantes en apportant un appui
particulier au dialogue et à la communication interne, éléments clés pour
éviter que des univers à deux vitesses et un climat social dégradé ne
viennent s’ajouter aux facteurs de risques déjà identifiés.
La négligence de ces procédés de
gestion de crise pourra à tout moment transformer ces exemples en nouvelles
menaces pour l’entreprises sur les plans organisationnel, juridique, financier
et réputationnel. A tout le moins, ils constitueront pour une crise potentielle
des facteurs aggravants qu’il convient d’anticiper.
[1]
https://fr.yougov.com/news/2020/06/12/bilan-teletravail-apres-le-confinement/
[2]
entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/cns/ressources/Teletravail_Rapport_du_ministere_de_Mai2012.pdf
[3]
https://fr.yougov.com/news/2020/06/12/bilan-teletravail-apres-le-confinement/
[4] lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/teletravail-les-salaries-le-plebiscitent-mais-veulent-plus-de-garde-fous-1209583
[5]
lesechos.fr/economie-france/social/la-moitie-des-salaries-de-grandes-entreprises-veulent-continuer-a-teletravailler-regulierement-1218417
[6]
lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/teletravail-generalise-attention-aux-risques-psychosociaux-pour-les-salaries-
[7]
lesechos.fr/economie-france/social/coronavirus-les-risques-psychosociaux-deuxieme-motif-darret-de-travail-en-france-1248678
[8]
leclubdesjuristes.com/blog-du-coronavirus/que-dit-le-droit/salaries-et-teletravail-la-prevention-des-risques-psychosociaux-est-necessaire/
[9]
lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/coronavirus-les-risques-psychologiques-du-confinement-en-5-questions-1189190
[10]
lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/les-cyberattaques-contre-les-banques-ont-triple-pendant-le-confinement-1223765
[11]
ironmountain.fr/about-us/news-events/news-categories/press-releases/2017/april/les-informations-confidentielles-moins-protegees-dans-les-jeunes-entreprises
[12]
https://infodsi.com/articles/143383/plupart-entreprises-ignorent-dangers-teletravail-securite-informations.html
[13]
lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/les-cyberattaques-contre-les-banques-ont-triple-pendant-le-confinement-1223765
[14]
lesechos.fr/idees-debats/leadership-management/secret-des-affaires-mefiez-vous-des-rh-et-du-marketing-1253486
[15]
village-justice.com/articles/teletravail-rgpd-les-absents-ont-ils-toujours-tort,29590.html