30 janvier 2020
Le 14 janvier, EH&A
organisait une table ronde d’analyse de la gestion de la crise de l’incendie de
l’usine Lubrizol. A cette occasion, Emmanuelle Hervé a réuni autour d’elle les
expertises de Sandrine Blanchemanche, directrice Santé et Environnement de
l’ANIA, Vincent Boichard, spécialiste de la gestion d’opérations de
crise et de l’accompagnement humain en situation complexe, et Laurent Pellegrin, haut fonctionnaire du corps préfectoral
ayant travaillé pour les ministères des Armées et de l’Intérieur.
Ces quatre experts se sont vite accordés
sur un point : la gestion opérationnelle de la crise, la part compliquée
de celle-ci, ne peut être que qualifiée d’exemplaire.
Le SDIS 76, la Gendarmerie, le plan Polmar,
la Dreal et toutes les autorités impliquées ont très bien articulé leurs
actions lors de l’incendie et le résultat est sans appel : l’alerte est
donnée à 02h39, le feu est circonscrit à 10h50, maitrisé à 13h00, éteint à
15h00.
Ce sans faute opérationnel est tout à
l’honneur des services d’interventions français, ainsi que des employés de
Lubrizol sur le terrain, d’autant plus qu’ils ont eu à subir plusieurs revers
sur cet incendie dont une pénurie d’eau rapidement compensée par l’arrivée de
bateaux pompes et un risque important d’écoulement d’eaux contaminées dans la
Seine circonscrit par Polmar.
Pourtant, chacun a pu constater que la
couverture médiatico-politique de cet évènement était largement négative.
En effet, sur la partie complexe de la
crise, la communication, les polémiques ont très vite pris le dessus sur la
parole officielle. Les décisions concernant l’alerte à la population, le
mesures de précautions successivement prises et la communication de l’État
autour de la gestion de l’incendie ont en particulier suscité beaucoup de
colère et d’inquiétudes.
Comme l’a rappelé Laurent Pellegrin,
c’est une des particularités de la gestion des crises françaises : la
gestion de la crise est incarnée par un seul homme, le Préfet. Il est seul à
être responsable avant, pendant et après la crise.
Dès lors, toutes ses décisions prêtent le
flanc à la critique.
Dans ce cas-ci, lorsqu’il décide de ne
pas déclencher d’alerte durant la nuit, il prend le parti de favoriser la
gestion opérationnelle en profitant de la mise à l’abri, de fait, des
populations. Mais pour tous les habitants découvrant la crise par la radio et
la télévision, il y a suspicion de minimisation du problème et de défiance
vis-à-vis d’eux.
C’est une autre particularité française,
les autorités craignent systémiquement de voir la population paniquer. Il est
donc tentant d’agir graduellement dans la mise en place de l’alerte et des
mesures de précaution : en premier lieu dans un périmètre restreint, et
expansion de celui-ci par la suite en fonction des remontées d’information.
Cette tendance, ce réflexe presque, est à
l’exact opposé des leçons qui auraient dû être tirées par la gestion de crise
du préfet maritime de l’Atlantique lors du naufrage du Grande America. (ndlr :
insérer lien vers notre article de blog sur le grande america)
Pour Laurent Pellegrin, il s’agit pour la
gestion de crise à la française d’entrer dans son troisième âge.
Après l’âge traditionnel, avec une
gestion par téléphone de la situation, la France a très bien intégré la gestion
de crise « à la Seveso ». L’opérationnel est efficace, les
entraînements sont fréquents et les mesures préventives mises en place dans les
sites à risques.
Seulement, il manque toujours un
élément : l’association et l’implication des populations et des parties
prenantes extérieures. A l’avenir, il sera nécessaire, comme cela se fait dans
d’autres pays (au Royaume-Uni par exemple), de former les populations à
l’alerte et aux actions à réaliser, d’associer les élus locaux, qui font
d’excellents relais des consignes et alliées dans la remontée d’information, et
de faire preuve d’ouverture et de pédagogie vis-à-vis des ONG et associations.
Ce n’est qu’avec la prise en comptes de
ces parties prenantes que la gestion de la crise s’évitera de prêter le flanc à
la critique au cours de la crise.
Il y aura toujours des rumeurs, des
conspirationnistes, des critiques opportunistes. Mais il sera possible de
limiter le parasitage des communications officielles et d’éviter de tomber le
piège de la réaction systématique aux nouveaux éléments.
L’incendie de Lubrizol, comme l’a conclu
Emmanuelle Hervé en fin de conférence, est une crise, certes majeure, mais
classique.
La force des images était en
contradiction avec l’absence d’empathie de la parole publique et ont générés
colère et inquiétude. L’alerte et les mesures de précaution se sont faites sans
associer les parties prenantes, renforçant d’autant ces émotions. Et
finalement, celles-ci, ainsi que besoin de médiatisation des acteurs politiques
ont généré une rapide et large judiciarisation de la crise.